LES EROSIONS DE VERSANT D'ORIGINE GLACIAIRE
54


Les flancs des vallées présentent parfois localement des parties en pente soutenue plus ou moins raide, souvent ravinées, les versants d'érosion.
Ces formes d'érosion sont parfois imputables à l'action d'une rivière décrivant un méandre et, dans ce cas, elles se situent sur la rive concave du méandre.

Voici par exemple un tel versant dans la concavité d'un méandre du Neckar, aux environs de Stuttgart. Il s'agit là d'un versant d'érosion de méandre, exposé au sud et occupé par un vignoble qui fournit des vins blancs excellents ..... encore qu'un peu chers.


Mais, en montagne, on rencontre parfois, tout particulièrement dans les roches peu compétentes, telles les schistes, des versants d'érosion dont l'origine n'est pas évidente : ils ne dominent pas un méandre et ils ne sont pas surmontés par un bassin d'alimentation susceptible d'avoir collecté les eaux pluviales.
En d'autres endroits, ces versants d'érosion prennent la forme de falaises dont l'origine est tout aussi peu explicable.

Nous pensons que les glaciers ont pu jouer souvent un rôle non négligeable dans la formation des versants d'érosion, complété ultérieurement, bien entendu, par l'érosion régressive ou l'action des agents atmosphériques.

Bien entendu, tous les ravinements que l'on peut observer sur les flancs des montagnes ne peuvent être imputés aux actions glaciaires.
Il en existe par exemple dans les Alpes du Sud, en des lieux qui n'ont jamais été englacés, beaucoup d'entre eux étant alors l'oeuvre de l'érosion régressive.



Nous allons décrire quelques cas où l'action des glaciers nous paraît très probable, en débutant par un cas d'école, celui des versants d'érosion de l'ombilic du Bourg d'Oisans (Isère).

La plaine du Bourg d'Oisans, un ombilic glaciaire, s'étend entre deux parois aux pentes soutenues, tournant même aux falaises dans le granite qui forme sa partie sud-est.
En trois endroits, ces parois sont rongées de ravinements:
-- ceux de la Côte Alamèle, repérée 1 sur la carte et bien visible sur la photographie ci-dessous
-- repérés 2, les arrachements du Bout du Monde, qui menacent directement le Bourg d'Oisans
-- enfin, repérés 3, ceux de la Côte du Seignet.
De plus, dans la vallée voisine de la Lignarre, descendue du col d'Ornon, un ravinement analogue (4) marque le versant de la vallée sous le col de la Buffe.






Ces versants d'érosion font l'objet des photos suivantes.



Sur la carte ci-dessus, nous avons porté, outre le tracé des rivières actuelles, celui des glaciers du MEG, le maximum glaciaire antérieur au Würm, c'est-à-dire le Riss.
À cette époque, d'ailleurs, le glacier principal était celui du Vénéon, qui, tout au long de son trajet dans l'ombilic, recevait des glaciers affluents, le plus important de ceux-ci étant celui de la Romanche.

L'examen du paysage et des cartes permet d'effectuer deux remarques :
En premier lieu, on note que tous ces versants d'érosion se situent en face du débouché de vallées affluentes :

-- la Côte Alamèle en face de la vallée de la Lignarre
-- le Bout du Monde en face de la vallée de la Sarenne, qui draine la partie sud du massif des Grandes Rousses
-- la Côte du Seignet en face des vallées provenant du Grand Rochail.
-- enfin, la Buffe/Ornon en face de la vallée de Villard-Reymond


La deuxième remarque concerne l'altitude du sommet des versants d'érosion :
Le glacier rissien, ainsi qu'il résulte de nos études résumées à la page Altitude de surface du glacier de la Romanche, s'élevait, au pléniglaciaire, à 1900 mètres à son entrée dans l'ombilic et à 1850 mètres sur Bourg d'Oisans. On voit donc que, dans les cas 1 à 3 ci-dessus, tous les sommets des versants d'érosion se situent quelques dizaines de mètres sous la surface du glacier rissien.

Nous verrons, au bas de cette page, comment il nous semble possible d'expliquer ces deux constatations.

Le versant d'érosion de la Buffe (repéré 4) semble toutefois faire exception : il culmine à 1780 m, nettement plus bas que l'altitude du glacier rissien de la Lignarre, qui s'élevait à 1850/1900 m environ, ainsi que le montre la carte suivante :


(Pour plus de détails, voir la page Le bassin du Drac).

Quelle peut être la cause de cette divergence avec les résultats précédents ?


Les deux versants d'érosion de la vallée de la Lignarre

L'observation plus attentive du paysage montre qu'en réalité, outre le versant d'érosion très impressionnant de la Buffe (4), il en existe un autre (4 bis), situé un peu plus à l'ouest et un peu plus haut et qui culmine, lui, aux environs de 1850 m.



Ce versant d'érosion d'Ornon 4 bis est moins spectaculaire que son voisin de la Buffe, dont les schistes aux reflets argentés monopolisent le regard. Son aspect est beaucoup plus "patiné" et il est envahi par endroits, par la végétation.

Le versant d'Ornon nous paraît donc avoir été créé par le glacier rissien, qui s'élevait ici à 1850 / 1900 m, alors que celui de la Buffe est à rapporter au glacier würmien, une centaine de mètres plus bas. L'existence de ces deux versants d'érosion de la Buffe et d'Ornon conforte donc bien la règle que nous venons d'énoncer : les sommets des versants d'érosion se situent à quelques dizaines de mètres sous l'altitude de surface du glacier.


Mais pourquoi les deux glaciations rissienne et würmienne ont-elles créé ici deux versants d'érosion distincts alors que, dans le cas général, ils sont confondus ?
La cause est à rechercher, nous semble-t-il, dans les conditions très particulières de circulation de ces deux glaciers dans cette vallée.

Ainsi que nous l'avons vu à la page Altitude atteinte par les glaciers dans le bassin du Drac, au maximum du Riss, la vallée de la Lignarre était parcourue, du sud vers le nord, par un glacier provenant du Rochail. Au droit d'Ornon, l'altitude des glaces était donc supérieure à celle que l'on observait dans l'ombilic du Bourg d'Oisans.
Durant le Würm, par contre, l'écoulement se faisait du nord vers le sud, de la Romanche vers le Drac.
Toujours au droit d'Ornon, la différence de niveau H entre les deux glaciers était donc supérieure à la valeur h qu'elle présentait dans l'ombilic ; on peut l'estimer à une centaine de mètres au lieu d'une cinquantaine.

Nous voyons là une explication au fait que, dans cette vallée de la Lignarre les versants d'érosion rissien et würmien sont distincts alors que, dans l'ombilic du Bourg d'Oisans, il n'est pas possible de distinguer l'action des deux glaciations.




On trouvera ici d'autres exemples de versants d'érosion, plus spectaculaires encore.



L'étude du cas où un glacier surmontait un obstacle qui s'opposait à sa progression va nous conduire à un résultat surprenant : on pourrait s'attendre en effet à ce que l'érosion atteigne le sommet de l'obstacle. Ce n'est pourtant pas le cas en général et le versant d'érosion culmine quelques dizaines de mètres plus bas.

Les exemples en sont nombreux. Outre les versants d'érosion d'Oulle et d'Ornon que nous venons d'étudier, nous relèverons deux cas bien caractéristiques :


L'ECHINE DE PRAOUAT

(Vallée de la Romanche, Isère)
La photo montre très clairement que l'érosion ne s'étend pas jusqu'à la crête, le sommet des ravinements se situe une quarantaine de mètres plus bas, sauf pour le versant d'érosion 3 (non visible sur la photo), nous verrons plus loin pourquoi.

De plus, depuis la fonte des glaciers rissiens, ces versants ont été attaquées par l'érosion interglaciaire et postglaciaire.

Il est donc certain que, lors de leur formation, les versants d'érosion culminaient plus bas encore sous la crête.

Il n'est évidemment pas possible de donner de chiffre précis, mais une valeur d'une centaine de mètres nous paraît un ordre de grandeur acceptable pour une période de l'ordre d'une centaine de milliers d'années.
Quant à leur affectation au Riss, elle résulte du fait que les reliquats de terrains morainiques visibles sur l'Échine sont visiblement plus anciens que le Würm.

Il est intéressant de noter que des érosions de versants identiques, tant en forme qu'en altitude, existent en Savoie, sur une échine analogue à celle de Praouat, de l'autre coté du col de la Valette, celle qui porte le Crêt d'Ornon.


L'ECHINE DU CRET D'ORNON

(Savoie)
Ici également, on peut remarquer que les érosions de versant culminent à une vingtaine de mètres sous la crête. Les deux érosions les plus marquées, à gauche de la photo, se situent en face du débouché de la branche du glacier de Saint Sorlin qui empruntait le col Nord des Lacs et le ravin du Rieu Blanc.


Ce sont ces trois remarques :

-- absence, au-dessus des versants d'érosion, de bassins d'alimentation susceptibles d'avoir collecté les eaux météoriques
-- situation des versants d'érosion en face du débouché des vallées affluentes
-- altitude des sommet des versants d'érosion voisine de celles de la surface des glaciers
qui nous incitent à penser que ces formes d'érosion sont bien l'oeuvre de ceux-ci.

Mais comment les glaciers agissaient-il ? La réponse à cette question devra permettre d'expliquer le positionnement de ces versants d'érosion en face du débouché des vallées adjacentes et le fait que, lorsque le glacier surmontait un obstacle - une échine par exemple - l'érosion ne s'étendait pas jusqu'au sommet de celui-ci.

Un élément de réponse va nous être fourni par un versant d'érosion situé sur le cours du Drac, le Bois Ribay.

LE BOIS RIBAY

Ce croquis situe le versant d'érosion du Bois Ribay, rive gauche du Drac, en face de son confluent avec la Bonne.
Ce versant d'érosion, qui entaille le versant est du Serre des Aigles culmine à 870 m, exactement à l'altitude du lac würmien du Beaumont, que nous l'avons étudié à la page Les anciens lacs du Beaumont et du Champsaur

Nous proposons l'explication suivante :

Notons tout d'abord que la formation de ce versant d'érosion ne saurait pouvoir être imputée au glacier rissien. L'altitude de surface de ce glacier était, en effet, voisine de 1430 m (voir la page Altitude du glacier du Drac), très supérieure à celle du sommet du versant. Cette glaciation n'est donc pas intervenue dans le façonnement de ce versant d'érosion, ainsi que le montre d'ailleurs la fraîcheur du modelé.

Plaçons-nous donc au Würm. On sait que la langue terminale du glacier würmien de la Bonne venait barrer la vallée du Drac, formant en quelque sorte un dépôt d'obturation qui soutenait le lac du Beaumont.
Le glacier se terminait par une falaise de glace subverticale tombant dans les eaux du lac. Un exemple d'une telle falaise
Le cours du Drac, émissaire du lac, était rejeté par le glacier contre la rive gauche où il coulait, selon le tracé en noir, à une centaine de mètres sous la surface de la glace (valeur résultant des propriétés physiques de la glace, voir à ce sujet la page circulation des eaux glaciaires.
Le Drac a conservé ce tracé après comblement des deux lacs par les alluvions.
C'est l'érosion due à ce Drac du temps du Würm qui nous paraît donc responsable de ce versant d'érosion du Bois Ribay. L'érosion a continué à s'exercer ici jusqu'à ce que le Drac, sous l'action de l'érosion régressive, ait gagné son lit actuel. Mais c'est bien, pensons-nous, le Drac würmien qui a initié le versant d'érosion.
Des dispositions analogues se rencontrent actuellement dans le Val Veni ( Val d'Aoste ), en face des langues terminales des glaciers du Miage italien et de la Brenva.






Généralisons à présent cette constatation.

Le cours du Drac, qui constituait le déversoir du lac, était donc "repoussé" contre la rive gauche par le glacier dont c'était le « point faible », l'endroit où son épaisseur était la moindre.
Ces eaux s'écoulaient à 870 m, 100 à 150 m sous la surface de la glace et ce sont elles qui ont creusé ce versant d'érosion, comme le montre l'altitude de son sommet.
Il nous paraît possible de généraliser cette constatation et d'imputer la formation des versants d'érosion, ainsi que le fait qu'ils se situent en face du débouché des vallées affluentes, à l'action des eaux glaciaires latérales, repoussées contre la rive opposée à celle de ces vallées.
De plus, le fait que les érosions de versant n'atteignent pas le sommet des obstacles - échines par exemple - franchis par le glacier montre qu'elles ne sont pas dues à l'action de la glace elle-même mais bien à celle des eaux de fonte circulant à une centaine de mètres sous la surface.


Revenons maintenant au cas de l'Échine de Praouat, où le schéma nous paraît avoir été le suivant :
Les glaciers qui descendaient le versant est des Grandes Rousses venaient se heurter à l'Échine de Praouat.
Ils la franchissaient, mais sous une faible épaisseur de glace, comme le montre par la présence sur l'arête de plusieurs lambeaux de moraine, que leur état de conservation permet de dater d'une glaciation plus ancienne que le Würm donc vraisemblablement rissienne.
Les eaux glaciaires, qui coulaient à une centaine de mètres sous la surface du glacier, selon le trajet jalonné de flèches jaunes ne pouvaient donc franchir l'Échine. Ce sont elles qui ont creusé les versants d'érosion 1 et 2.

Quant au glacier qui descendait en face du versant d'érosion 3, il surmontait largement l'Échine, moins élevée à cet endroit et les eaux de fonte pouvaient alors, tout au moins au maximum glaciaire, franchir la crête et marquer leur empreinte jusqu'à son sommet.




NOTE POUR LES LECTEURS OPINIATRES ET ATTENTIFS

... dont vous faites partie, puisque vous êtes parvenus jusqu'ici, ce dont je vous félicite (signalez-le moi, je vous enverrai un mail de félicitations ...).
Vous aurez certainement remarqué, à la lecture de cette page, un fait quelque peu troublant, que l'on rencontre dans le cas où le glacier a dû surmonter un obstacle.
Dans ce cas, certains versants d'érosion sont situés du coté amont de l'obstacle, telles les Échines de Praouat et du Crêt d'Ornon, alors que le versant d'érosion des Fraiches - Plateau de Bellard se trouve du côté aval (amont et aval s'entendant selon le sens de marche du glacier). Un retour en arrière sur les photos représentant ces divers versants d'érosion vous en convaincra si nécessaire.

Ceci nous paraît constituer une preuve supplémentaire du rôle important joué par les eaux glaciaires.
Si, en effet, les versants d'érosion sont situés tantôt à l'amont, tantôt à l'aval des obstacles, c'est qu'ils ne sont pas liés directement à la marche du glacier.
Mais on remarque qu'ils sont toujours placés en face du débouché de vallées affluentes dans la vallée principale. Ces glaciers affluents repoussaient l'écoulement des eaux glaciaires contre la paroi opposée de la vallée principale.
Même si la partie supérieure des glaces, sur une centaine de mètres d'épaisseur par exemple, pouvait franchir un obstacle éventuel de cette paroi, les eaux glaciaires, coulant en profondeur, contournaient cet obstacle et exerçaient sur son versant aval une intense érosion.

Nous vous renvoyons aux exemples précédents, en particulier au schéma relatif à l'Échine de Praouat, où la circulation des eaux est bien indiquée.



La page D'autres versants d'érosion nous conduira du Bugey au Dévoluy, en passant par Grenoble et le col du Glandon (une rude étape pour le Tour de France !).