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ALTITUDE D'APPARITION DES EAUX GLACIAIRES

SUR UN GLACIER QUATERNAIRE (1)

LA DIFFLUENCE DE MERDARET (Isère)


...... deux sujets que rien, a priori, ne semble réunir.

Pourtant, l'étude de cette diffluence nous a permis de faire progresser quelque peu, pensons-nous, l'étude de la question principale : « en dessous de quelle altitude apparaissaient, au maximum ou peu après le maximum du Würm, une quantité d'eaux glaciaires suffisante pour imprimer sa marque dans les paysages de montagne ? »

Les lecteurs pressés par le temps pourront se transporter sans plus tarder à la Conclusion qui figure à la fin de cette page mais, pour les autres, présentons pour commencer le théâtre de cette diffluence.


Le col de Merdaret est un large passage ouvert dans l'arête qui descend du massif des Sept Laux vers le nord en direction d'Allevard (Isère) et qui sépare donc la vallée de l'Isère - le Grésivaudan - de son affluent le Bréda, issu du massif des Sept Laux.


L'étude de cette région va nous amener à des conclusions dont l'intérêt dépasse largement son cadre géographique.
Elle abrite un certain nombre de sites caractéristiques, que nous avons rassemblés sur le tableau suivant. Les uns appartiennent à la vallée de l'Isère, ils sont repérés I et les autres à la vallée du Bréda et sont repérés à ce titre en IA (affluent de l'Isère).

SITES CARACTÉRISTIQUES PROCHES  DU COL DE MERDARET

 

(Extrait des tableaux des sites de l’Isère (repérés I) et de ses affluents (repérés IA)

 

 

Rep

Site

Type

Alt

(m)

Alt

Glac

(m)

Nb

Larg

(km)

Pente

(%)

Dist

(km)

Carte

TOP25

Carte

Géologique

Coordonnées

WGS84

I 20

Verrou sous chalet Merdaret

RM

1719

1769

-

-

-

63

3433OT

Domène

32T

267500

5018900

I 21

Moraine

sur chalet

Merdaret

D

1730

1730

-

-

-

63

3433OT

Domène

32T

267200

5018550

 

 

Rep

Site

Type

Alt

(m)

Alt

Glac

(m)

Nb

Larg

(km)

Pente

(%)

Dist

(km)

Carte

TOP25

Carte

Géolog

Coordonnées

WGS84

IA11

Crêt du Poulet

SRD

1700

1800

2

0,2

Hor

68

3433OT

Domène

32T

269600

5023700

IA12

Crêt Luisard

Mor

1770

1770

-

-

-

67

3433OT

Domène

32T

269150

5022450

IA15

Crêt du Bœuf

RA

1820

1940

-

-

-

90

3433OT

Domène

32T

268800

5018400

IA16

Montagne

 des Fanges

D

1940

1940

-

-

-

92

3433OT

Domène

32T

267700

5017700

 

 

Sur la figure suivante, nous avons reporté les repères de ces sites caractéristiques et indiqué en bleu l'altitude qu'ils permettent d'attribuer à la surface du glacier .



A ces sites caractéristiques classiques, il convient d'ajouter d'autres formes de relief assez inhabituelles et qui seront illustrées plus loin par des photos : nous parlons des broues, banquettes doucement inclinées, mais surtout des ravines qui entaillent le versant ouest du col.
Ces ravines se révèlent particulièrement intéressantes, car, ainsi que nous le verrons plus loin, leur étude permet de répondre à une question d'intérêt général : « en dessous de quelle altitude les glaciers würmiens étaient-ils soumis à la fusion ? ».



Déterminer la cote de surface du glacier en utilisant les caractéristiques de ces sites peut sembler difficile, car ils se situent à des altitudes bien supérieures à celle atteinte par les glaciers würmien et rissien dans le Grésivaudan.
Quelles étaient en effet les altitudes de surface de ces grands appareils de vallée ?

Si nous cherchons à déterminer celle de l'appareil würmien de l'Isère par le travers du col de Merdaret - qui se situe à 63 km du vallum terminal würmien en suivant le talweg de l'Isère - le calcul, parfaitement applicable ici vu la grande largeur des vallées - fournit une valeur de 1322 m (vérification possible ici)
A des altitudes de cet ordre, aucune forme imputable aux actions glaciaires n'est visible dans le paysage. Les sites caractéristiques figurant sur le tableau se situent globalement 500 m plus haut !

Bien sûr, au Riss, le glacier de l'Isère, à 79 km de son vallum terminal, qui se situait 16 km en aval de son homologue würmien, s'élevait ici à 1510 m soit 190 m plus haut qu'au Würm (on pourra le vérifier ici). Mais on est encore loin des altitudes des sites du Merdaret, toutes supérieures à 1700 m !

Les formes de relief glaciaire dans le voisinage du col ne peuvent donc être imputées à l'action des glaciers würmien ou rissien de l'Isère.

Cette morphologie s'explique toutefois très facilement si l'on fait intervenir une diffluence du glacier du Haut-Bréda par-dessus l'arête du Grand Rocher qui le séparait du Grésivaudan.

Le niveau des glaces versant Bréda était en effet très supérieur à celui atteint dans la vallée de l'Isère.

Pour le voir, plaçons-nous au Würm, puisque la carte géologique au 1/50 000 Doméne indique que, dans toute cette zone, les dépôts glaciaires datent de cette glaciation.

La distance du col de Merdaret au vallum terminal würmien du glacier de l'Isère, était, nous l'avons dit, de 63 km, alors qu'elle était de 91 km en empruntant le versant Bréda, compte tenu du long détour que le glacier effectuait par Allevard.
A cette distance de son vallum terminal, le calcul indique que le glacier würmien se serait élevé à 1550 m si la formule était applicable dans la vallée du Bréda. Mais ce n'est pas le cas, du fait de sa faible largeur, bien inférieure à la valeur de 4 km au-delà duquel on peut utiliser la formule.
De plus, on est ici aux limites de la haute montagne, déjà dans le domaine des glaciers de cirque, en l'occurrence celui du Pleynet et ces glaciers présentent toujours, on le sait, une pente beaucoup plus accusée que les grands appareils de vallée.
Quelle pouvait donc être l'altitude de surface du glacier würmien à cet endroit ? C'est l'examen du relief et des dépôts environnants qui va nous fournir la réponse.

Les dépôts glaciaires les plus élevés signalés par la carte géologique sur l'arête nord-est de la Montagne des Fanges cotent 1940 m.
En confirmation, le rebord d'auge de l'épaulement du Crêt du Boeuf (IA15), à 1820 m, fournit également de son côté la même valeur de 1820 + 120 m = 1940 m.

Le glacier würmien du Haut Bréda envoyait donc, au maximum de la glaciation, par le col de Merdaret en direction du Grésivaudan, une diffluence épaisse de 150 m environ.



Cette diffluence a laissé des traces dans le vallon qui constitue le versant ouest du col de Merdaret.

Le vallon est barré par un verrou rocheux s'élevant à 1719 m (I 20), à l'arrière duquel s'étend la prairie (un ancien lac comblé) sur laquelle sont construits les chalets du Merdaret.

On remarque également que l'un des versants porte trois banquettes inclinées, des broues.
Le verrou rocheux est couvert de roches moutonnées..........................................................


Enfin, une moraine parfaitement rectiligne (repérée I 21) s'étend - dans le dos du photographe - sur le flanc nord du Rocher de Monteynard. Horizontale et longue de 200 m, elle cote 1730 m.
L'altitude de la broue la plus élevée ainsi que la présence des roches moutonnées sur le verrou montrent qu'au pléniglaciaire, le glacier diffluent dominait d'une cinquantaine de mètres au moins la crête du verrou. Ce glacier descendait donc encore plus bas dans la vallée mais les éventuels dépôts qu'il a pu y laisser n'ont pu subsister sur des pentes aussi raides et ont été emportés par l'érosion.
L'ensemble constitué par la broue la plus élevée et la moraine rectiligne à 1730 m dessine bien le tracé de la diffluence, qui, au maximum du Würm, franchissait le verrou rocheux.

Un autre élément du paysage va nous permette de préciser ce point, en même temps qu'il va nous nous apporter un précieux renseignement : il s'agit de petits vallons secs, très caractéristiques, que nous appelons ravines de diffluence, qui descendent sur le côté sud du col, versant Grésivaudan.
Un détour par la page correspondante les ravines de diffluence permettra de préciser le sens de ce terme.

Voici l'une de ces ravines, qui sont au nombre d'une demi-douzaine au total. ...........................
Les trois ravines les plus septentrionales de la série sont repérées 1 à 3 sur la photo ci-contre et sur la carte ci-dessous.
Elles prennent naissance à 1800 m d'altitude, au bord d'un "replat inférieur", ancien lac comblé.
Leur section en V permet de leur attribuer avec certitude une origine torrentielle.

Or, elles ne sont pas dominées par un bassin d'alimentation de taille suffisante pour avoir collecté un débit d'eaux météoriques appréciable.
Les eaux météoriques provenant des pentes qui dominent le replat inférieur sont collectées en effet dans un "replat supérieur" d'où elles s'écoulent selon les flèches bleues, dans un petit vallon 5, vers la vallée du Bréda .
La formation de ces ravines ne nous paraît imputable qu'à l'action des eaux de fonte de la diffluence du glacier du Haut Bréda au-dessus de l'arête du col.
Les eaux glaciaires de ce glacier, circulant 100 à 150 m sous sa surface et empruntant le col, ont pu également jouer un certain rôle.


Photo non renseignée

Mais d'autre ravines strient la pente un peu plus au sud, en particulier, celle repérée 4 sur la photo précédente.

Vue de plus près, voici cette ravine 4.

Elle prend naissance vers 1880 m, sous l'arête de la Montagne des Fanges. Il s'agit, là aussi, d'une vallée sèche, de taille un peu plus importante que les précédentes, sans doute parce qu'elle n'a pas bénéficié de la protection offerte par le replat supérieur et qu'elle a été empruntée par la totalité des eaux provenant de la fonte de la glace franchissant l'épaule de la Montagne des Fanges.

Il nous semble alors possible d'envisager le film des événements suivant :
Au pléniglaciaire würmien, nous l'avons dit, le glacier du Haut Bréda (glacier du Pleynet) envoie, par le col de Merdaret, une diffluence qui dévale la pente versant Grésivaudan, au nord de la portion représentée par la carte ci-contre.
La surface du glacier s'élève ici à 1940 m environ.
Au cours de la phase suivante, pendant laquelle le début de la décrue glaciaire abaisse la surface de la glace, les eaux de fonte latérales gauches de la diffluence creusent la ravine 4.
Un peu plus tard encore, la glace s'abaisse à 1850 m environ et le front de la diffluence stagne un moment au niveau du replat inférieur.
C'est alors que l'écoulement de ses eaux de fonte creuse les ravines 1 à 3, cependant que s'assèche la ravine 4.
C'est cette position du glacier qui figure sur le croquis ci-contre.
Le glacier s'abaissant encore, les eaux empruntent alors le ravin 5 qui les fait rejoindre la vallée du Bréda.
Enfin, la diffluence a totalement cessé lorsque le niveau de la glace est descendu en dessous de 1800 m, fossilisant ainsi les ravines dans l'état où nous les trouvons à l'heure actuelle.




CONCLUSION

En conclusion, le fait le plus important, qu'il convient de souligner, réside dans le fait que ces ravines du col de Merdaret prennent naissance vers 1800 à 1880 m, prouvant ainsi que la fusion du glacier würmien était déjà alors intense à cette altitude, donc qu'elle commençait un peu plus haut.

Ce résultat conforte celui qui fait l'objet de la page le Pas d'Anna Falque ou altitude d'apparition des eaux glaciaires sur un glacier quaternaire (2).







On peut se demander si, au maximum des glaciations, cette diffluence rejoignait, 300 à 400 m plus bas, le glacier de vallée de l'Isère ? Il est difficile d'être affirmatif mais nous pensons toutefois que cela devait être le cas, au moins pour les glaciations plus importantes que le Würm, ainsi que nous le laissent supposer les grandes dimensions du vallon de Merdaret qui plonge sur Theys.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas là un élément particulièrement important dans la formation du paysage du col de Merdaret.




Mais cette région nous réserve une dernière surprise.

Dans ce même versant ouest du col de Merdaret existent 4 épaulements, à des altitudes également très supérieures à celle du glacier rissien du Grésivaudan et qui ne sont apparemment pas liés à la diffluence du glacier du Haut Bréda.
On ne peut manquer d'être frappé par l'altitude, exceptionnellement élevée, de ces épaulements aux formes très nettes. Tous conduisent à envisager l'occupation du Grésivaudan par un glacier de cote de surface voisine de 1900 m, soit 600 m au-dessus du Würm ou encore 400 m plus haut que le Riss.
Un pareil monstre a-t-il pu réellement exister ?

Cette question nous a paru suffisamment intéressante pour que nous lui consacrions une page spéciale: Les sites élevés du Grésivaudan.




LES RAVINES D'EPAULEMENT D'ARCENI
(Beaufortain, Savoie)

Quittons l'Isère pour la Savoie, Belledonne pour le Beaufortain où nous trouverons un autre exemple de ravines de diffluence.

Dans la vallée du Poncellamont, qui descend du Cormet d'Arêches, un épaulement porte le chalet en ruines d'Arceni. Son altitude est de 2086 m.



Plusieurs ravines entaillent son versant aval, signe que le glacier, lors de son recul, a stationné un certain temps sur cet épaulement, un peu plus haut que 2100 m et que la production d'eaux glaciaires avait commencé à cette altitude.
Mais nous ne savons pas, pour l'instant, placer cette phase de recul par rapport au maximum du Würm. Nos études en cours permettront peut-être de préciser ce point d'ici quelques semaines.