LES RAVINES GLACIAIRES MARGINALES

(DE DIFFLUENCE OU D'EPAULEMENT)
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Que nous appellerons, plus simplement, pour être concis, ravines marginales.

Emises au front ou sur les rives d'un glacier, les eaux de fonte - ou plus généralement les eaux glaciaires qui font l'objet de la page circulation des eaux glaciaires - modèlent, dans les dépôts glaciaires ou dans les roches en place sur lesquelles elles coulent, des formes très caractéristiques.

Dans bien des cas, ces formes ont été altérées, voire détruites, par les actions glaciaires ou postglaciaires ultérieures.
Il existe cependant un domaine où elles ont pu résister à l'épreuve du temps et sont alors particulièrement intéressantes par les enseignements qu'elles apportent : il s'agit de ce que nous appellerons les ravines marginales de diffluence ou d'épaulement.

Représentons nous un glacier qui émet une diffluence par un point bas d'un des versants de sa vallée. Si l'altitude est suffisamment faible pour que les eaux glaciaires soient présentes en quantité appréciable, une partie de celles-ci, qui circulent de préférence, comme on le sait, à une centaine de mètres de profondeur le long des rives de la vallée, quittera celle-ci et empruntera le même trajet que la diffluence.
Ces eaux apparaitront alors au jour en marge du glacier diffluent et creuseront parfois, dans les pentes qu'elles empruntent, de petites ravines, de dimensions en travers métriques ou décamétriques, les ravines marginales de diffluence.

Ces formes d'érosion glaciaire sont souvent particuliérement bien conservées car, dès la disparition de la diffluence, aucune érosion notable ne s'est plus exercée sur elles. Aucune circulation d'eau n'a pris, en effet, le relais des eaux glaciaires, du fait de l'absence de bassin d'alimentation appréciable et les phénomènes d'érosion postglaciaires ont ainsi été réduits au minimum.

Par ailleurs, l'existence d'une diffluence montre que l'on se situait alors à peu près au maximum de la glaciation, le Wûrm, par exemple ; ceci permet de tirer des renseignements intéressants concernant le niveau atteint par les glaces à cette époque, mais surtout, sur la présence des eaux glaciaires.
Il est en effet ainsi possible de savoir à quelle altitude les eaux glaciaires existaient en quantité appréciable près du maximum de la glaciation, question qui n'a pas reçu, à ce jour, de réponse pleinement satisfaisante.



Voici un premier exemple de ravines de diffluence, situées au col de Merdaret, au-dessus d'Allevard (Isère).

Ces petites ravines - dont la photo ci-contre représente les trois les plus septentrionales - sont au nombre d'une demi-douzaine.
L'égalité d'altitude de leur têtes ainsi que le fait qu'elles sont colonisées par la végétation ne permet pas de les considérer comme dues à l'érosion régressive.
Leur section en V permet d'attribuer avec certitude leur formation à l'action des eaux courantes.
Voici l'une de ces ravines, photographiée, cette fois, en hiver.
Or, ces ravines ne sont pas dominées par un bassin d'alimentation de taille suffisante pour avoir collecté un débit d'eaux météoriques appréciable.

Il s'agit donc bien d'eaux glaciaires, émanant de la diffluence du glacier du Haut Bréda par-dessus l'arête du col.

Ces ravines du col de Merdaret prennent naissance vers 1800 m, prouvant ainsi que la fusion, à un stade proche du pléniglaciaire würmien, était alors déjà importante à cette altitude.
Plus de détails à la page La diffluence de Merdaret.

D'autres ravines de diffluence, particulièrement faciles à examiner, sont situées sur la route qui méne de Grenoble à Saint-Nizier-du-Moucherotte (Isère), 500 m avant l'entrée dans le village. Elles sont au nombre de trois et se situent dans la forêt.
Dépourvues de bassin d'alimentation, elles sont la preuve d'un écoulement d'eaux glaciaires, celles émises par la diffluence du glacier würmien de l'Isère qui franchissait ici l'épaule de Saint-Nizier-du-Moucherotte.

Deux des trois ravines qui zigzaguent à travers la forêt, de part et d'autre de la route D 106.
L'altitude du sommet des ravines 1150 m) correspond exactement à celle du glacier würmien au-dessus de Grenoble, telle qu'elle résulte de nos études (page Les diffluences de Saint-Nizier-du-Moucherotte.)
Il s'agit donc bien, ici aussi, de ravines de diffluence.


Ces ravines de diffluence jouent un rôle analogue à ce qui a été appelé par G. Monjuvent «canyons proglaciaires», une forme de relief qui, de la même manière, traduit l'écoulement des eaux de fonte à l'avant d'une diffluence glaciaire.
À ce dernier type appartiennent le canyon proglaciaire du Pas du Curé et la Combe de la Jaille, situés également aux environs de Saint-Nizier-du-Moucherotte (Isère).
Dans ce cas, les eaux glaciaires de la diffluence de Saint-Nizier-du-Moucherotte plongeaient sous la langue de glace qui occupait les gorges du Furon et, en conséquence, seules les formes de relief de grande taille telle que ce canyon ou cette combe n'ont pas été altérées ultérieurement.


Citons un dernier exemple, la ravine qui termine, vers l'ouest, la crête des Fretes (Bornes, Haute-Savoie) (WGS 84 31T 297000/5084400)
et qui prend naissance à 1720 m


On rencontre également parfois des ravines sur le versant aval d'épaulements formant saillies au-dessus de la vallée.

C'est le cas, dans la vallée du Poncellamont, qui descend du Cormet d'Arêches (Beaufortain, Savoie), de cet ensemble de ravines situées sous l'épaulement qui porte le chalet en ruines d'Arceni.

En contrebas, la lac de Saint Guérin.

L'existence de ces ravines d'épaulement peut être expliquée de manière analogue à celle des ravines de diffluence.


Un dernier exemple de ravines d'épaulement situées, cette fois, dans le bassin du Drac, au-dessus de Nantes-en-Ratier, dans la région de La Mure (Isère), où deux ravines parallèles prennent naissance à la ferme des Bruyères (WGS 84 31T 723000/4981400, altitude 1343 m), témoins probables d'un stationnement du glacier sur le petit éperon situé au sud.
Ce dernier site est remarquable, car il s'agit là indéniablement d'un glacier rissien, le bassin du Drac n'ayant pas été occupé par les glaces durant le Würm.
On peut simplement penser que ces ravines ont été entretenues par les eaux de fonte des neiges würmiennes, alors que le pergélisol régnait ici en maître.



L'analogie de situation entre les ravines - de diffluence ou d'épaulement - et les sillons rocheux donne à penser que ces formes d'érosion ont la même origine : écoulement d'eaux glaciaires sur les marges d'un glacier.
Les ravines se rencontreraient dans des terrains peu résistants à l'érosion , tandis que les sillons rocheux se formeraient dans des terrains plus compétents, plus résistants.



LES RAVINS DE DIFFLUENCE

Dans certains cas, les ravines de diffluence présentent des dimensions telles qu'on peut les appeler ravins. On peut penser que ce cas de figure se rencontre lorsque le débit des écoulements est particulièrement important ou encore dans le cas où la forme de l'arête aux alentours de la diffluence permet un stationnement prolongé des écoulements au même endroit.

Un exemple, le ravin de Drogat, dans le sud du Vercors.


LES BROUES

Nous empruntons ce terme - à défaut d'en trouver un existant ne risquant pas de prêter à confusion - aux habitants de la vallée de la Guisanne, plus particulièrement à ceux de Monêtier-les-Bains (Hautes-Alpes), qui appellent ainsi des formations naturelles, analogues à des terrasses cultivées, mais inclinées selon la pente de la vallée.

Un croquis - ou mieux une photo, bien sûr - valant mieux qu'un long discours, voici un exemple de broue près du col de La Bâthie (Tarentaise, Savoie).

Les broues sont des banquettes de faible largeur, inclinées dans le sens de circulation du glacier. Elles paraissent être des formes d'érosion plutôt que de dépôts.
Elles sont visiblement dues à l'action de la glace - ou des éléments rocheux que celle-ci contenait - alors que les ravines de diffluence montrent bien une action des eaux courantes. Mais, dans un cas comme dans l'autre, les formes qu'elles ont burinées dans la montagne permettent de déduire le passage d'un glacier.
Ici, on voit que le glacier qui occupait l'intérieur du Beaufortain émettait, par le col de la Bathie, en direction de la vallée de l'Isère, une diffluence dirigée vers le photographe, à une altitude légèrement supérieure à 2020 m.

Photo prise des chalets de Bellachat.
Photo non renseignée.

Enfin, un dernier exemple de broues, celui-ci situé dans la vallée de l'Isère, près du col de Merdaret.