ORIGINE DE LA BIEVRE-VALLOIRE,
DU PLATEAU DE CHAMBARAN
ET DE LA FORET DE BONNEVAUX

UN SANDUR ALPIN ?
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LE CADRE GEOGRAPHIQUE

La région à laquelle nous allons nous intéresser ici et qui fait partie du sillon molassique périalpin, comprend le Bas Dauphiné et l'Est lyonnais. Elle présente la forme d'un triangle limité par le rebord sud-ouest du Bugey, le cours du Rhône et la bordure nord-ouest du Vercors .

Pour plus de renseignements sur le sillon molassique périalpin, consulter le site de Maurice Gidon

http://www.geol-alp.com/avant_pays/avant_pays_index.html
À l'intérieur de cette région, deux petits massifs, le plateau de Chambaran au sud et celui de la forêt de Bonnevaux au nord, font saillie au-dessus des plaines environnantes.

Ces deux massifs sont séparés par la dépression de la Bièvre-Valloire, cependant que la basse vallée de l'Isère s'étend entre le plateau de Chambaran et le Vercors.

Ils sont constitués d'une ossature en molasse miocène, recouverte en grande partie par un placage d'un terrain original, la formation de Chambaran et de Bonnevaux-l'Amballan, que nous nommerons ci-dessous plus simplement "formation de Chambaran".

L'origine de ces reliefs - Chambaran, Bonnevaux et Bièvre-Valloire - pose quelques problèmes auxquels nous allons tenter d'apporter une réponse.

Décrivons d'abord la nature de la formation de Chambaran.



LA FORMATION DE CHAMBARAN

Les passages en bleu proviennent des notices des cartes géologiques et d'autres documents en notre possession.

Cette formation se compose de cailloutis polygéniques sans stratification visible, emballés dans une matrice argilo-limoneuse ou argilo-sableuse.
Jusqu'à 10 à 15 m de profondeur, le cailloutis comprend essentiellement des quartzites et autres roches siliceuses très fortement altérées, jusqu'au coeur même des échantillons.
Ceux-ci, sous l'action du marteau, se réduisent en une fine farine.
Les galets sont de fort calibre (10 à 50 cm), bien arrondis.
Plus profondément, la formation renferme également des roches cristallines et calcaires, elles aussi très altérées.
Cette formation est transgressive sur la molasse miocène, dont elle se distingue aisément.
Son épaisseur passe d'une trentaine de mètres à l'Est à une centaine à l'Ouest, où elle semble en continuité avec les conglomérats fluviatiles du pliocène supérieur.




QUELLE PEUT ETRE L'ORIGINE DE CE TERRAIN PEU COMMUN ?

La notice de la carte géologique au 1 / 50 000 Grenoble dit à son sujet : " Cette formation, attribuée par certains auteurs à une nappe alluviale villafranchienne, peut aussi bien représenter, en totalité ou en partie, le niveau supérieur, altéré, des conglomérats miocène ".
Les auteurs s'accordent en général pour estimer que le dépôt des cailloutis de Chambaran s'est produit au Villafranchien inférieur.

Nous proposons une autre explication qui nous semble mieux rendre compte des particularités du relief des deux plateaux et de la Bièvre-Valloire.

Mais, tout d'abord, un petit rappel de stratigraphie quaternaire s'impose.







HISTORIQUE DU BAS DAUPHINE

Pour le tracer, remontons au Miocène (- 23 à - 8 Ma).

A cette époque, le relief de la région était complètement différent de ce que nous pouvons observer de nos jours.
Ni les massifs cristallins externes (Belledonne, Mont Blanc), ni le Vercors ni la Chartreuse n'étaient encore sortis des profondeurs.
La vallée du Rhône, de la Méditerranée jusqu'à Vienne (Autriche) était occupé par une mer, la mer miocène, dans laquelle se jetait une Paléo-Isère. Celle-ci, après avoir reçu le renfort d'une Paléo-Durance passant à l'emplacement de ce qui devait ultérieurement devenir le seuil Bayard, suivait sensiblement, dans son dernier tronçon le tracé de l'écoulement actuel.

Cette Paléo-Isère remblaya la mer miocène de ses alluvions, qui devaient ultérieurement devenir la molasse miocène.

Au Messinien - dernier étage du Miocène - le niveau de la Méditerranée s'abaissa de près de 2000 mètres. Le Rhône éroda une partie des dépôts miocènes, creusant une vallée dans lequel il s'encaissa au fond d'un profond canyon.

Au Pliocène (- 8 à - 1,8 Ma), la remontée de la Méditerranée donna naissance à un long golfe, une ria, qui s'étendait jusqu'à Lyon, avant d'être remblayée à son tour par les alluvions.

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Au Villafranchien , une vaste surface d'aplanissement s'étendait ici, héritée de l'épisode climatique chaud du Pliocène.

En effet, après la période chaude du Paléocène (65-53 Ma), suivie d'un refroidissement dès la fin de l'Éocène, vers 40 Ma, le Pliocène a été marqué par un nouveau réchauffement jusque vers 3 Ma (qui devait être suivi, au Pliocène terminal, à partir de 2,6 Ma environ, par l'arrivée des premières glaciations).
Sous ces climats chauds, celui des zones arides, des savanes, où l'ablation chimique joue un rôle prépondérant, on observe souvent des formes originales, des glacis qui, lorsque leur surface est horizontale, prennent le nom de pédiplaines.

Un exemple de pédiplaine en Namibie.

« L'horizon s'étend à perte de vue et l'oeil n'est arrêté que par les inselbergs qui dominent la platitude de la pédiplaine » (M.Derruau).



La surface d'aplanissement du Bas Dauphiné nous paraît être une pédiplaine, résultant de l'action de ces épisodes chauds du Pliocène.

Dans le Vercors tout proche, le massif des Coulmes présente d'ailleurs actuellement, selon Jean-Jacques Delannoy (Vercors, histoire du relief), un relief imputable également à ce type de climat, celui d'un karst à buttes (proche du karst à tourelles de la Rivière des Perles, mais en moins spectaculaire, il faut bien en convenir).

Un autre karst à tourelles bien connu, celui de la baie d'Along.



À défaut de photo du karst des Coulmes, on trouvera quelques vues de la forêt et de la surface d'aplanissement à l'adresse suivante :
http://www.geol-alp.com/h_vercors/lieux_vercors/presles.html

Dans le massif de la Chartreuse, on retrouve également cette surface d'aplanissement pliocène : voir à ce sujet :
http://www.geol-alp.com/chartreuse/4_relief_chartreuse/e_aplanisst.html

Il ne nous semble pas exclu que les buttes qui parsèment la forêt de Gènieux, au-dessus de la route du col de la Charmette, puissent avoir comme origine un semblable karst à buttes pliocène, remodelé sans doute ultérieurement par d'autres formes d'érosion.
Plus loin encore vers le nord, cette surface d'aplanissement s'étend jusqu'au massif des Bornes, où elle apparaît près du Parmelan.




UN PEU DE TECTONIQUE

Les dimensions en plan du Bas Dauphiné étaient alors peu différentes de ce qu'elles sont actuellement. La région ne montre en effet pas de failles et les rares plissements se limitent à de modestes ondulations (anticlinal de St-Lattier et synclinal de St-Marcellin.

Il n'en est pas de même verticalement, car tout le Bas Dauphiné a été, vers la fin du Pliocène, l'objet d'un soulèvement important.
Dans sa partie ouest, le soulèvement ne nous semble pas avoir dépassé 200 mètres, comme en fait foi l'altitude actuelle du sommet des dépôts pliocènes marins, voisine, à cet endroit, de 200 mètres.

Pour la partie est, les terrains molassiques atteignent les altitudes de 700 mètres en bordure du plateau de Chambaran et de 800 à 1000 mètres dans la région de Voiron.

Schématiquement, la surface d'aplanissement se présentait donc, après le soulèvement, sous la forme d'un plan incliné vers l'Ouest.

Plus à l'est encore, en Chartreuse, la surface d'aplanissement se situe à l'altitude de 1900 mètres aux Rochers de Chalves, mais cette valeur importante du soulèvement est due certainement au fonctionnement de la faille de Voreppe.




LES GLACIATIONS QUATERNAIRES

Nous voici parvenus à la frontière entre les ères tertiaire et quaternaire.
On ne peut négliger le fait qu'à cette époque déjà -- 1,8 millions d'années -- plusieurs glaciations s'étaient déjà produites.
Parmi les plus anciennes, l'une au moins, Biber ou Donau (ou, en utilisant les notations des stades isotopiques, un âge glaciaire très antérieur au stade 22), plus importante que le Riss, avait envoyé les glaciers du Rhône et de l'Isère loin de leur berceau de montagne, dans les plaines de piémont.

Sur la partie ouest du plateau de Chambaran, on trouve des lits de loess cimenté -- témoin indiscutable de l'existence de glaciers -- qui renferment une riche faune de mammifères (Villeret 1954) et qui suggèrent un âge de l'ordre de 2,2 millions d'années (Guérin 1980).
Ailleurs sur le plateau, des séquences de sédiments que l'on estime antérieures à 1,6 millions d'années ont fourni des blocs striés inclus dans une matrice argileuse, observation qui montre bien qu'un glacier s'est avancé assez près de l'extrémité du Chambaran, mais qui ne permet toutefois pas d'en déterminer l'avancée maximum.
On rapprochera ces dates de celle des dépôts que l'on vient de découvrir dans le Missouri central, qui indiquent que la calotte nord-américaine s'étendait, il y a 2,4 Ma, nettement plus au sud que lors des glaciations postérieures (La Recherche, mars 2005).

Une datation précise de cette glaciation alpine étant impossible, nous nous contenterons d'utiliser dans ce qui suit le terme « glaciation très ancienne ».

Toute la région étudiée dans cette page était alors recouverte par la glace, les glaciers du Rhône et de l'Isère se rejoignant ici pour y mourir en un gigantesque lobe.

Mais jusqu'où ce lobe s'étendait-il ?
La réponse est aisée en ce qui concerne l'Est lyonnais : le lobe parvenait jusqu'à la rive droite du Rhône.

En effet, si l'on ne rencontre pas sur cette rive de terrains glaciaires datés de cette époque très ancienne, on y trouve des vallums morainiques rissiens.
La glaciation très ancienne, plus importante, a donc dû également parvenir au moins jusque là.

Par contre, plus au sud, en Bas Dauphiné, l'absence de dépôts ne permet pas de savoir, à elle seule, si le glacier très ancien a atteint le cours du Rhône actuel en aval de Vienne, incertitude traduite par les points d'interrogation qui figurent sur la carte suivante



Nous pensons toutefois que c'est le cas et que le glacier très ancien, a bien atteint le cours du Rhône, hypothèse basée, non sur l'existence de dépôts mais sur la morphologie de la Bièvre-Valloire.
Ce point de vue -- que nous demandons au lecteur d'admettre pour l'instant -- sera explicité avec plus de détails un peu plus loin.
Notons cependant dès à présent que, si le glacier a atteint le cours du Rhône, il l'a fait en bout de course, sans avoir eu l'épaisseur nécessaire pour imprimer sa forme dans les terrains de la rive droite ainsi qu'il a fait plus au nord.

On peut voir en effet sur la carte qui figure en tête de cette page que, face au débouché de la Bièvre-Valloire, cette rive droite ne porte pas l'empreinte du glacier, au contraire de ce que l'on peut observer plus près de Lyon. En effet, si l'on observe la portion de la rive droite du Rhône qui s'étend, au sud de Lyon, de Oullins à Grigny, on remarque l'existence, à l'ouest d'une zone encombrée de terrains morainiques rissiens, d'un chenal utilisé par les eaux que le glacier rhodanien repoussait contre la bordure du Massif Central.
Ces eaux ont creusé un versant d'érosion dont la concavité, qui épousait celle du glacier, est particulièrement bien visible sur ladite carte.

Cette différence dans l'intensité de l'érosion due, selon nous, aux eaux qui contournaient le glacier nous paraît imputable au fait que la région de Oullins - Grigny se situe plus près du débouché des vallées alpines que celle de Saint-Rambert-d'Albon.



COMMENT SE SITUE LE DEPOT DES CAILLOUTIS
PAR RAPPORT AUX VARIATIONS DU CLIMAT ET AU SOULEVEMENT ?


Si la chronologie de chacun de ces événements est connue dans ses grandes lignes, bien des inconnues subsistent lorsqu'on essaye de les replacer les uns par rapport aux autres.
En particulier :
-- les cailloutis se sont-ils déposés avant ou après le soulèvement ?
-- ont-ils été mis en place avant ou après l'arrivée des glaciations ?

A la première de ces deux questions, nous pensons pouvoir donner un début de réponse.
Il nous semble que c'est durant le soulèvement que s'est déposée la partie supérieure des cailloutis, ainsi que le montrent les deux raisonnements suivants dont les conclusions convergent.

1 - Basons-nous tout d'abord sur la pente des terrains du plateau de Chambaran.
La pente de surface de la formation de Chambaran est voisine de 1 %. Cette valeur est bien supérieure aux pentes de sandurs que nous avons pu relever, tant au Spitzberg qu'en Islande et qui varient de 0,4 % à 0,6 %, soit en moyenne 0,5 %.
On peut en déduire que, postérieurement au dépôt de la couche supérieure du cailloutis, s'est produit une inclinaison du sol de l'ordre de 1 - 0,5 = 0,5 %.

En dessous de la formation de Chambaran, la surface de la molasse sur laquelle celle-ci repose, présente, elle, une pente moyenne de 1,2 %.
On voit donc que la surface de la molasse présentait, au moment où le cailloutis a fini de se déposer, une pente de l'ordre de 1,2 - 0,5 = 0,7 %.

2 - Le deuxième raisonnement utilise l'épaisseur de cette formation de Chambaran.
Il est connu, on l'a vu plus haut, que celle-ci varie d'une trentaine de mètres à l'est à une centaine de mètres à l'ouest - à 35 km de distance - soit une variation de 0,2 %.
Or, l'épaisseur d'un dépôt alluvial sur une surface horizontale diminue de l'amont vers l'aval.
Pour que, au contraire, son épaisseur augmente de l'amont vers l'aval, il faut que la surface sur laquelle il se forme soit inclinée elle-même vers l'aval.
Application ici : en admettant une pente de surface du sandur de 0,5 %, la prise en compte de la variation d'épaisseur du dépôt amène à la valeur de 0,5 + 0,2 = 0,7 % pour la pente de la surface sur laquelle il s'est formé. On retrouve donc la même valeur de 0,7 % que celle calculée ci-dessus.

En conclusion et sans prendre au pied de la lettre - ou plutôt du chiffre - les résultats qui précèdent, le raisonnement permet de penser que le lobe glaciaire s'est avancé sur un massif de molasse miocène en cours de soulèvement, préfiguration des plateaux de Chambaran et de Bonnevaux, mais présentant une pente sensiblement moitié de leurs pentes actuelles.

Il est plus difficile d'apporter une réponse à la deuxième question : Les cailloutis ont-ils été mis en place avant ou après l'arrivée des glaciations ?

Si l'on compare toutefois la date retenue en général pour la première des glaciations, le Biber (3 à 2,6 Ma) à celle du soulèvement (fin du Pliocène, soit 1,8 Ma), on voit qu'il n'est pas exclu que des dépôts contemporains de ce soulèvement puissent être d'origine glaciaire et non pas alluviale.

Nous venons de voir que le lobe du glacier très ancien avait sans doute atteint le Rhône. Ultérieurement, lors du retrait des glaciers, un sandur, analogue à ceux que l'on peut voir de nos jours en Islande. a pris naissance à l'avant du lobe, gagnant vers l'amont au fur et à mesure du recul du celui-ci.

Même dans l'hypothèse où le soulèvement avait dèjà commencé, le niveau de la glace était suffisant, à cette distance du front glaciaire, pour permettre au sandur de recouvrir des reliefs dont l'altitude était inférieure à celle du plateau de Chambaran d'aujourd'hui.
Par ailleurs, on peut penser que des dépôts alluviaux antérieurs à l'arrivée du glacier auraient été balayés par celui-ci.

Il nous semble donc possible d'admettre que la formation du Chambaran et du Bonnevaux-l'Amballan soit formée des cailloutis du sandur, altérés ultérieurement par les agents atmosphériques au cours des millénaires qui ont suivi.


L'EST LYONNAIS

Dans les plaines de l'Est lyonnais, le lobe du glacier très ancien s'étalait, nous l'avons dit, jusqu'à la rive droite du Rhône.
Ici, les modifications d'altitude ultérieures ont été beaucoup moins importantes qu'en Bas Dauphiné. Quant à la rive droite, contrefort du Massif Central, son altitude a peu varié.

Rive droite du fleuve, sur les collines qui s'étendent d'Oullins jusqu'en face de Vienne, se trouvent, à des altitudes de l'ordre de 300 voire 400 m, quelques lambeaux de la formation de Chambaran.
Ils sont séparés des plateaux de Chambaran proprement dit et de Bonnevaux par le cours du Rhône, ce qui nous amène à penser qu'il s'agit de terrasses construites à partir des matériaux du sandur de la rive gauche, repris par le fleuve puis déposés par les crues sur cette rive droite.




FORMATION DE LA BIÈVRE-VALLOIRE


Que le cailloutis des Chambaran soit d'origine fluviatile, ou, comme nous l'estimons possible, fluvio-glaciaire, le relief de molasse miocène surgi au Pliocène a été profondément modifié par les actions glaciaires ultérieures.

La carte suivante (document NASA) montre bien la magnifique auge à fond plat de la Bièvre-Valloire, de largeur constante et égale à 11 km sur une longueur de 50 km et de profondeur voisine de 200 m, compte non tenu de l'épaisseur, également de l'ordre de 200 m, des alluvions qui en garnissent le fond.

L'auge se poursuit jusqu'à quelque kilomètres du Rhône :
-- Rive droite de la Valloire, le flanc d'auge se termine à Anjou (375 m à La Tour, à 9 km du Rhône).

-- Rive gauche, le flanc est bien visible jusqu'à Anneyron (336 m à La Tour d'Albon, à 5 km du Rhône).

Aucune rivière de taille appréciable ne parcourt la Bièvre-Valloire.



La forme en auge et la belle régularité de celle-ci montre bien qu'un ou des glaciers importants sont passés par là.
C'est la preuve « morphologique », à laquelle nous faisions allusion plus haut et qui démontre que, ici comme dans l'Est lyonnais, les glaciers sont parvenus jusqu'au Rhône.

L'étude des formes d'érosion -- tout au moins celle des formes majeures (auges, épaulements, sillons rocheux, etc), car les formes mineures (polis, stries, cannelures) sont trop éphémères pour cela -- permet d'aller plus loin, dans la distance et dans le temps, que celle des formes de dépôts (moraines, terrasses fluvio-glaciaires, etc).
Celles-ci conservent cependant tout leur intérêt, car elles permettent souvent d'effectuer des datations.


La carte suivante schématise le tracé du lobe d'une glaciation ancienne, Gunz ou Mindel par exemple, d'âge intermédiaire entre la glaciation très ancienne dont nous parlions jusqu'à présent et le Riss.



Le régime d'écoulement des eaux de fonte des anciens glaciers, tel qu'il nous semble possible de l'imaginer, va nous permettre de comprendre la localisation et le façonnement de la large vallée de la Bièvre-Valloire.

Les eaux de fonte d'un glacier s'écoulent, on le sait, de préférence sous la surface du glacier, contre ses rives et, en fin de parcours seulement, sur le fond de la vallée.

Les eaux de la rive droite du glacier du Rhône, repérées (1) sur notre croquis, s'écoulaient donc le long du flanc ouest du Bugey, à l'emplacement du Rhône actuel.
Celles de la rive gauche du glacier de l'Isère, repérées (2), coulaient contre le Vercors, ce sont elles qui ont façonné la basse vallée de l'Isère.
Enfin, les eaux de la rive droite de ce dernier glacier se joignaient à celles de la rive gauche celui du Rhône pour donner naissance, à la confluence des deux appareils, à un écoulement important (3) qui rejoignait le lit du Rhône actuel dans la région de St Rambert d'Albon.
C'est ce dernier écoulement qui nous parait responsable de la localisation et d'une partie du façonnement de la Bièvre-Valloire ainsi que du Liers, au nord de la Côte-Saint-André.

Si l'écoulement des eaux a joué un rôle très important, celui de la glace ne l'a pas été moins.
Les deux agents d'érosion se sont unis pour élargir la vallée et lui donner son profil d'auge à fond plat.

On remarquera également que sur le plateau de Bonnevaux, l'écoulement des eaux glaciaires superficielles a modelé une série de vallons, orientées à l'ouest nord-ouest.

Sous l'épais remplissage d'alluvions quaternaires de la Bièvre-Valloire, se cache un profond canyon.
Son origine glaciaire est vraisemblable, c'est une forme que l'on trouve en effet très fréquemment dans le fond des vallées glaciaires où les eaux de fonte creusent de tels canyons peu avant leur apparition à l'air libre.

Mais il n'est pas exclu qu'il puisse s'agir d'un legs du Messinien, époque où la baisse de niveau de la Méditerranée a encaissé les fleuves côtiers au fond de profondes gorges. Peut-on envisager la conjonction de ces deux facteurs ? Il ne nous est pas possible de répondre à cette question.

Passé le maximum de cette glaciation ancienne, les glaciers reculent.

Lorsqu'ils ont suffisamment diminué pour ne plus apparaître aux débouchés de leurs vallées alpines, le régime d'écoulement des eaux change : la totalité de celles du glacier de l'Isère empruntent la basse vallée actuelle, le seuil de Rives s'opposant à la poursuite de leur pénétration en Bièvre-Valloire.
L'ossature en molasse de ce seuil domine en effet de plus de 100 m la plaine de l'Isère et plus encore au cours des glaciations précédentes, avant son rabotage par les glaciers. Ceci empêche de considérer la Bièvre-Valloire comme une ancienne vallée du fleuve Isère.

Les écoulements du Rhône font de même dans les plaines de l'Est lyonnais, les collines qui s'étendent au nord de la Tour-du-Pin les rejetant contre le flanc du Bugey.
La Bièvre-Valloire devient alors une vallée morte, ce qui lui permet de conserver la pureté de sa forme glaciaire, alors que la basse vallée de l'Isère, parcourue par un fleuve important, est soumise à l'érosion fluviale.

Cette succession d'événements va se reproduire à chacune des glaciations suivantes, tout au moins lors de celles assez importantes pour avoir donné naissance à un lobe dans la plaine de piémont.
Toutefois les glaciers ne prennent pas pied sur les sites protégés que constituent ces deux plateaux de Chambaran et de Bonnevaux, ainsi que le montre l'absence de dépôts plus récents que les cailloutis du Chambaran.

Survient la glaciation rissienne. Ici non plus, le glacier ne pénètre pas sur le plateau de Chambaran.
Sur Bonnevaux, par contre, le glacier rissien atteint peut-être un niveau suffisant pour que ses eaux de fonte creusent la vallée de la Gère, vers Lieudieu. Pierre Mandier qualifie cette vallée de " chenal ", ce que corrobore l'examen de notre carte.
Mais ne pourrait-il s'agir d'un chenal creusé lors d'une glaciation antérieure ? On objectera, certes, que Lieudieu se situe dans un berceau de terrains fluvio-glaciaires rissiens, signe à première vue évident de la pénétration du glacier à cette époque.
Il ne nous semble pas exclu cependant que ces dépôts puissent être dus au glacier du Rhône passant sur Saint-Jean-de-Bournay et Châtonnay.




EN BREF

L'élément le plus important qui nous semble résulter de cette étude est le fait que, selon nous, le lobe glaciaire conjoint des glaciers du Rhône et de l'Isère lors des glaciations très anciennes est parvenu jusqu'au Rhône.
Dans cette hypothèse, le façonnement de la Bièvre-Valloire nous paraît du à l'action des glaciers et de leurs eaux de fonte.
Enfin il nous semble possible que la formation de Chambaran résulte des apports fluvio-glaciaires de ces glaciers.