LE LOBE TERMINAL DU GLACIER RISSIEN DE L'ISERE

COMPARAISON AVEC LES GLACIERS DU SPITZBERG, D'ALASKA ET D'ISLANDE

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Parvenus dans leurs plaines de piémont, les glaciers de vallée s'étalent en lobes, ce sont maintenant des glaciers alaskiens.
Voici deux exemples de tels glaciers, sur la côte sud de l'Islande.



On admirera la forme parfaitement circulaire du lobe représenté à droite, qui a pu s'étaler librement sur le sandur de sa plaine de piémont

Nous l'avons dit, pour déterminer le tracé du lobe du glacier rissien de l'Isère dans sa plaine de piémont, en particulier dans la Bièvre, il n'est pas possible d'effectuer un calcul théorique, car on s'écarte des hypothèses utilisées dans celui-ci.
On ne peut, d'autre part, utiliser comme modèles des glaciers alpins actuels, car aucun d'eux ne présente de lobe terminal assez développé.
Nous nous servirons donc comme termes de comparaison de glaciers septentrionaux actuels de caractéristiques aussi proches que possible de celles du glacier rissien de l'Isère, c'est-à-dire présentant :

-- un lobe glaciaire de très grandes dimensions, ce qui est le point le plus délicat, compte tenu des dimensions gigantesques de celui de l'Isère
-- une terminaison du glacier sur la terre ferme et non dans l'océan, de manière à éviter l'influence d'un effet de flottaison, ce qui élimine la plupart des glaciers du Spitzberg)



On voit en effet, sur cette photo d'un glacier du Spitzberg, que, dans ses dernières longueurs, la surface du glacier est très peu inclinée.

-- et surtout un confinement du lobe du même ordre de grandeur que celui de l'Isère.

Définissons tout d'abord ce que nous entendons par « confinement » d'un lobe glaciaire.

Lorsque un glacier de vallée parvient en fin de parcours, trois cas peuvent se présenter :

-- Premier cas : Enserré entre les parois de sa vallée, le glacier peut y « mourir », sans former de lobe. Sa surface revêt alors une forme du type de celle repérée 1 sur le graphique ci-dessous.
Lorsque la vallée est assez large, cette forme est celle que la formule permet de calculer ; lorsque elle est plus étroite, l'allure générale est la même mais les pentes sont plus élevées

-- Deuxième cas : le glacier parvient jusque dans sa plaine de piémont, où il s'étale en lobe, rien ne venant gêner la formation de celui-ci. Nous dirons que ce lobe n'est pas confiné et, dans ce cas, la forme de sa surface, nettement moins pentue que dans le cas précédent, est repérée en 2 sur le graphique

-- Troisième cas : Au sortir de la vallée, des reliefs - ou encore la présence d'un glacier coalescent - dans la plaine de piémont, viennent gêner l'expansion de notre lobe, le confiner.
Dans ce cas intermédiaire, la surface prend alors une forme intermédiaire entre les deux précédentes, repérée 3.
L'angle A que forment les deux parois de la vallée caractérise le confinement : plus cet angle est aigu, plus le lobe est confiné et plus ses pentes seront fortes.

Ces considérations ne sont pas théoriques, c'est l'observation des glaciers septentrionaux qui nous a permis de les formuler, ainsi que nous allons le voir.



Nous nous sommes intéressés aux glaciers suivants :

En Islande deux glaciers descendant vers la côte sud :
1 -- le Skeidararjökull
2 -- le Sidujökull

Au Spitzberg, deux glaciers sont également intéressants :

3 -- l'Eidembreen (feuille B8, coordonnées Est 13° Nord 78° 23').
4 -- le Veteranen (carte au 1/500000 feuille 3, coordonnées de son front : Est 17° 30' Nord 79° 20').

A titre d'exemple, le tableau ci-dessous indique l'altitude en mètres de la surface du Veteranen en fonction de la distance à son front (en km), front situé sensiblement à l'altitude 100 m :

100 . 200 . 300 . 400 . 500 . 600 . 700 . 800 . 900 . 1000 .
..0.....3,8.....5,8.....9,5.....13....18.....24....28,8....33,8....38.....


Enfin, en Alaska, les immenses glaciers :
5 -- Bering
6 -- et Malaspina,
qui nous ont fourni les renseignements les plus intéressants.

Tous ces glaciers appartiennent au type alaskien; leur langue terminale s'étale en lobe, et les moraines frontales sont remplacées par une plaine de dépôts fluvioglaciaires, les sandurs.

Pour ne pas alourdir cette page, nous n'avons fait figurer que deux cartes détaillées , celles de l' Eidembreen et celle du Bering, sur lesquelles nous avons porté les angles de confinement.

L'Eidembreen (Spitzberg).



Carte NORSK POLARINSTITUTT OSLO, 1988,feuille B8, coordonnées Est 13° Nord 78° 23'.

Cote sud de l'Alaska, le glacier Bering ...............













Carte NATIONAL GEOGRAPHIC



Examinons maintenant, sur des schémas, la forme des lobes de ces énormes glaciers.


QUELQUES GLACIERS SEPTENTRIONAUX

Les schémas qui suivent ont été tracés à l'échelle, mais cette échelle diffère de l'un à l'autre.



Le Skeidararjökull (Islande).
Son lobe est peu confiné et ne s'avance que de quelques kilomètres sur son sandur.
Le Sidujökull, également situé sur la côte sud de l'Islande, pénetre d'une dizaine de kilomètres dans la plaine ; il est confiné sur sa rive gauche, d'où sa forme quelque peu dissymétrique.
Avec l'Eidembreen, dont nous avons montré ci-dessus une carte détaillée, nous voici au Spitzberg.
Son lobe dépasse de 4 à 5 km dans la plaine, mais ne parvient pas tout à fait jusqu'à l'océan.
Le Veteranen, au lobe très réduit......................................



Outre le Bering, la côte sud de l'Alaska nous présente le plus intéressant de tous les glaciers septentrionaux, le Malaspina, dans le Parc National du même nom.

De curieuses vues du Malaspina sont visibles à la page Les glaciers du Malaspina et de Patagonie.

Ainsi que nous le verrons, ses dimensions sont sensiblement les mêmes que celles de notre glacier rissien de l'Isère.

Le Malaspina présente un lobe presque parfait, légèrement plus large que long - si l'on peut dire - du fait de la légère pente du sandur sur lequel il s'avance.


Nous avons tracé les courbes représentatives de la surface des lobes terminaux de ces différents glaciers.



On constate que les pentes des lobes sont d'autant plus faibles que leurs angles de confinement sont importants.
Le Malaspina, qui n'est pas confiné, est celui qui présente les pentes les plus douces.

A l'exception du Skeidararjökull, tous les glaciers ont des pentes inférieures à celles que l'on peut calculer l'aide de la formule.
Ceci est dû, bien entendu, au fait que le confinement est maximum dans le cas d'une vallée aux versants parallèles, mais également peut-être au fait que le « bombé » d'un lobe glaciaire varie avec l'importance du débit : le lobe «gonfle» lors des poussées glaciaires et «s'aplatit » lorsque le débit du glacier diminue. Or les glaciers d'Alaska semblent actuellement se trouver dans une phase de retrait.
La formule, nous l'avons dit, est, par contre, utilisable en régime établi, stable, ce qui est le cas du pléniglaciaire.

En amont du lobe, la pente s'accentue lorsqu'on parvient dans la vallée d'où provient la glace, la courbe représentative ayant alors tendance à rattraper la courbe calculée. Ceci est particulièrement remarquable dans le cas du glacier Malaspina.


QU'EN ETAIT-IL DU GLACIER RISSIEN DE L'ISERE ?

Bien que leurs dimensions soient à peu près les mêmes, le lobe du glacier rissien isérois présentait une différence importante avec celui du Malaspina, qui n'est pas confiné et qui peut se développer sans contrainte à la surface du sandur.
Le glacier de l'Isère, par contre, était confiné :
-- au sud par le rebord du Vercors
-- au nord par le glacier du Rhône.
Il ne pouvait donc pas se développer en cercle, mais devait, compte tenu de cet angle de confinement d'une soixantaine de degrés, se contenter d'occuper un secteur circulaire , ainsi que le montre la figure suivante:



L'ALTITUDE DE LA SURFACE DU LOBE RISSIEN DE L'ISERE

Le lobe de l'Isère présentant un angle de confinement assez faible, sa surface devait donc s'élever selon une courbe intermédiaire entre celle calculée à l'aide de la formule et celles des lobes du Malaspina et du Bering.

De cette courbe, nous connaissons deux points :
-- le vallum terminal, à la côte 300 m environ, 4 km à l'est de Beaurepaire , tel que le définissent la carte géologique au 1 / 250 000 Lyon et les travaux de Pierre Mandier (voir la page Pour en savoir plus sur la Bièvre Valloire).
-- la cote du glacier au sortir de la cluse de Voreppe, que nous avons estimée à 1080 mètres au-dessus de Noyarey (ou plus exactement au-dessus d'un point A situé 4 km en amont de Voreppe). (Voir la page Les diffluences de Montaud).

Nous avons donc traçé sur le graphique ci-dessus une courbe passant par ces deux points, intermédiaire entre celle calculée à l'aide de la formule et celles des lobes du Malaspina et du Bering (courbe en bleu "Isère estimée).
Ceci nous a permis alors de dessiner la carte suivante.
On remarquera que l'extension du glacier dans la vallée de l'Isère selon notre étude est très différente de celle qui figure sur la carte géologique au 1/250 000.
La réponse se trouve à la page la basse vallée de l'Isère.



On trouvera plus de commentaires sur cette région sur les pages :
La basse vallée de l'Isère,
La Bièvre-Valloire au Riss et au Würm et
Origine de la Bievre-Valloire, du Plateau de Chambaran et de la Forêt de Bonnevaux. Un Sandur Alpin ?

Nous terminerons par une remarque d'intérêt général déjà formulée à la page glaciation responsable du modelé glaciaire :

L'étude des formes d'érosion -- tout au moins celle des formes majeures (auges, épaulements, sillons rocheux, etc), car les formes mineures (polis, stries, cannelures) sont trop éphémères pour cela -- permet d'aller plus loin, dans la distance et dans le temps, que celle des formes de dépôts (moraines, terrasses fluvio-glaciaires, etc).
Celles-ci conservent cependant tout leur intérêt, car elles permettent souvent d'effectuer des datations.